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PLAIDOYER

Le plaidoyer que vous allez lire a été entièrement imaginé par 2 jeunes sous-main de justice placés en foyer.

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Monsieur le président,

Nous prenons la plume aujourd’hui pour plaider en faveur de la légalisation du cannabis. Pas pour surconsommer, par défi ou nous faciliter l’accès à cette drogue. Croyez bien que nous saurons toujours où en trouver, car il y aura toujours des gens pour en fournir. Mais parce que la consommation de cannabis est devenue le symbole d’un immense décalage. Décalage entre la façon dont la société voit sa jeunesse et la façon dont elle-même se voit, entre l’avenir fermé que les médias et les politiques nous dépeignent et celui que nous espérons pour nous-mêmes et nos prochains, entre le regard que portent les personnes socialement intégrées sur notre marginalité et la réalité de cette marginalité. Un décalage enfin entre notre besoin absolu de trouver du sens à notre quotidien et l’absence de sens qu’il règne partout.

La question de la légalisation du cannabis est devenue un emblème des dissonances et de l’absurdité à l’œuvre au sein de la société toute entière.

Actuellement on dénombre plus de 5 millions de consommateurs annuels dont 1.3 million de réguliers, dans tous les milieux sociaux et sur tous les territoires de France. Au-delà du motif récréatif souvent invoqué par les consommateurs, il suffit de creuser un peu pour découvrir que la consommation est l’histoire d’une fuite, celle de la réalité, d’un monde sans joie, qui change trop vite pour nous ou nos parents, qui promeut l’individualisme, la rivalité, l’argent, l’uniformisation. Il est d’ailleurs ironique qu’on reproche à notre génération entière d’être superficielle, de tout vouloir immédiatement alors que ce sont exactement les valeurs de consommation dans lesquelles nous avons grandi. Et surtout, alors que nous ne sommes pas comme ça. La plupart d’entre nous rêve de mieux, pas de plus.

Contrairement à ce qu’on imagine de nous, consommateurs, nous ne sommes pas inconséquents. Nous avons parfaitement conscience des risques encourus, sanitaires comme juridiques. Nous avons fait le choix de la fuite, c’est un choix lourd de conséquences qui pourtant nous paraissent souvent plus simples à affronter que la réalité.

Nous sommes les 1ers à regretter l’investissement nécessaire de sommes ahurissantes pour notre consommation, à entretenir tout en la subissant la présence des dealers aux pieds de nos immeubles, autant pour l’insécurité qu’ils y font régner que pour leur influence néfaste et pour représenter un paradis immédiat même s’il est de courte durée, à souffrir du manque, des idées noires, de la fatigue, liées à l’addiction, et du regard des autres.

Nous sommes conscients du besoin de consommer pour arrêter le petit vélo de nos angoisses sur lequel nous pédalons mentalement sans pouvoir l’arrêter, pour réussir à dormir, à nous concentrer, à socialiser.

Nous sommes surtout conscients de l’hypocrisie qu’il règne à n’aborder qu’à moitié la question d’une pratique devenue aussi courante que l’alcool ou la cigarette. La consommation est interdite mais globalement tolérée par les autorités, favorisant de fait l’existence d’une justice à géométrie variable en cas d’interpellation. Des soins gratuits sont proposés mais sur volontariat et avec la même approche, que l’on consomme du cannabis, de l’alcool, des cigarettes, de l’héroïne ou du crack. Comme pour tout problème abordé à moitié, on traite la forme, ce qui se verra, ce qui atterrira dans la colonne d’un tableau de mesure d’impact d’initiative. Mais pas le fond.

Légaliser signifierait de normer un marché, peut-être dans une structure hybride privée / publique, avoir un discours et des comportements cohérents à l’égard des consommateurs, analyser les motifs de la démarche d’achat, les niveaux et objectifs de consommation, contrôler les prix comme la qualité. Cet argent ramené dans un circuit légal avec le système d’imposition traditionnel générerait des fonds publics significatifs.

Cela financerait en aval, pour encadrer et limiter la consommation, la prévention et l’information des consommateurs comme des non consommateurs sur cette pratique, autant pour aider au mieux les premiers que pour casser les représentations que s’en font les seconds.

Il pourrait enfin s’envisager un suivi médical ouvert et assumé, sans besoin de diaboliser ce qui au final donne encore plus envie aux jeunes de consommer. Pourquoi ne pas d’ailleurs proposer ce suivi médical et scientifique directement dans les magasins qui naitraient de la légalisation – et qui au passage pourraient créer de l’emploi et ramener dans la légalité producteurs et vendeurs, qui seraient alors professionnalisés et formés aux enjeux et aux risques des produits qu’ils fournissent.

Si l’on ne peut pas atteindre tous les consommateurs depuis les CSAPA, on peut les atteindre tous sur les lieux de vente qui, à l’instar du planning familial, deviendraient alors également des lieux d’information, de suivi, de soin, de soutien et d’écoute.

Sans aucun doute, cette écoute mènerait à prendre la mesure réelle du désenchantement au cœur de cette pratique, et de manière plus générale celle au cœur des nouvelles générations.

La légalisation ne serait plus un enjeu de consommation, mais un outil pour se confronter aux problèmes véritables d’une société qui ne propose plus d’avenir.

Veuillez agréer, Monsieur le président de la République, l'expression de ma respectueuse considération.

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